<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Richelieu, l’éminente diplomatie française

20 janvier 2021

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Photo : Tombeau de Richelieu, chapelle de la Sorbonne.

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Richelieu, l’éminente diplomatie française

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Dans son célèbre traité Diplomatie, publié en 1994, Henry Kissinger a fait du cardinal de Richelieu un portrait un peu réducteur ; il serait le premier moderne européen à évacuer la religion de la politique étrangère. La France serait sortie avec lui de la chrétienté féodale pour entrer dans la souveraineté des États-nations. En réalité, Richelieu met simplement la géopolitique au service de la France catholique.

Un Machiavel parvenu au sommet du pouvoir ? La légende noire de ce prélat réputé froid et cruel n’a pas épargné Armand du Plessis de Richelieu. Ce serait ignorer que l’évêque de Luçon est dès ses débuts un lecteur de Jean Bodin et un artisan de la Contre-Réforme catholique en France. Il comprend le rôle de la religion dans l’équilibre politique d’une nation. Introduit par le père Joseph dans le conseil de la reine et régente Marie de Médicis, il est proche, à ses débuts, de ce que l’on appelle « le parti espagnol », favorable à une reconquête catholique, en proie au danger turc et aux hérésies protestantes. Mais il est vrai qu’il assume une théorie de l’État assez novatrice pour l’époque, où l’État est assimilé à un être mortel, la nation : « L’homme est immortel, son salut est dans l’autre vie. L’État n’a pas d’immortalité, son salut est maintenant ou jamais. »

À 22 ans, il est allé chercher son évêché auprès de Paul V à Rome où il a pu observer les subtilités de la diplomatie italienne et, depuis sa cathédrale de Luçon, il a manœuvré habilement les calvinistes. Après plusieurs disgrâces, Louis XIII comprend peu à peu le parti qu’il pourrait tirer de cet homme à la fois respectueux de la monarchie et désireux de former un État puissant susceptible de soumettre les grands du royaume. En 1630, il s’émancipe totalement de la tutelle de la reine mère lors de la fameuse « journée des dupes » et Louis XIII installe officiellement le cardinal comme son principal ministre. Avec la paix d’Alès signée en 1629, Richelieu met un terme aux guerres de religion en France, l’édit de Nantes est confirmé. Le cardinal a en tête la politique de réconciliation forgée par Henri IV et son père pour remettre la France debout. En 1632, la tête du duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, tombe pour crime de lèse-majesté. Gaston d’Orléans et la reine mère sont définitivement écartés. L’autorité du roi est rétablie.

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Un prélat en guerre pour la paix de la France

Richelieu peut alors se concentrer sur la politique étrangère. Jusqu’ici, il avait réussi à tenir Paris éloigné de la guerre de Trente Ans, démarrée en 1618. Il s’est contenté d’aider et de financer les princes protestants ou catholiques opposés à l’hégémonie de l’empereur Ferdinand II de Habsbourg. « Marcher à la guerre à pas de plomb », Arnaud Teyssier relève cette maxime de Richelieu dans sa longue biographie (Perrin, 2012). Le ministre de Louis XIII fait en sorte d’épuiser et de maintenir séparés les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne, en particulier en Italie, en défendant l’indépendance de la vallée de Valteline dans les Alpes (1620-1626), et en gardant Casal-Montferrat (1628-1630) dans le Piémont et le duché de Mantoue en Lombardie (1631) dans la maison du prince de Gonzague, duc de Nevers.

Il favorise l’indépendance du Portugal et la révolte catalane, de sorte que Barcelone passe provisoirement sous suzeraineté française. En 1635, Richelieu décide le roi à entrer en guerre contre l’Espagne, mais la France n’est pas prête quand les armées autrichienne et espagnole font leur jonction à Corbie, près d’Amiens : « Il n’y a pas au monde de nation si peu propre à la guerre que la nôtre » déplore le cardinal dans son Testament politique. Avec la reprise de Corbie et les victoires de Perpignan et de Lens, la menace espagnole s’éloigne, c’est pourtant la grande puissance de l’époque. L’encerclement des Habsbourg se retourne contre les assaillants de la France. Trop dispersés et coupés de Madrid, les Espagnols se heurtent à une résistance française plus organisée que prévu. Il faudra toutefois attendre les victoires de Condé et Turenne pour qu’ils demandent la paix, signée en 1659 avec le traité des Pyrénées.

Les percées en Allemagne de Gustave-Adolphe de Suède et les alliances de circonstances avec le Danemark, les Provinces-Unies et l’Angleterre ouvrent un boulevard militaire à la France en Lorraine, en Alsace et au-delà. À la diète de Ratisbonne, Ferdinand II de Habsbourg n’a pas pu obtenir l’hérédité du Saint Empire romain germanique en faveur de sa famille et les électeurs conservent leurs autonomies. Pourtant Richelieu se garde de tomber dans une politique de conquête inconsidérée : « Je sais tout conquérir, mais je ne garde rien, trop content de ma gloire et de mon propre bien. » Il rassure le pape et les princes allemands, car il veut, avec son fidèle conseiller le père Joseph, être le garant de l’équilibre de la chrétienté comme le souligne Charles Zorgbibe dans sa récente étude sur Les Éminences grises (Fallois, 2020). Il négocie l’aide donnée aux alliés protestants en échange d’une liberté de culte pour les catholiques, ce qu’il a accordé aux protestants en France. Fustel de Coulanges verra en lui « l’arbitre de la chrétienté » et le fondateur d’une forme de réalisme chrétien où la ruse et la force font partie du jeu. « Dans les affaires de l’État, celui qui a le pouvoir a souvent le droit, et celui qui est faible ne peut qu’avec difficulté s’empêcher d’avoir tort aux yeux de la majorité du monde » résume-t-il dans son Testament politique. Il sait aussi que l’Europe redoute la monarchie universelle des Habsbourg. Dans une pièce de théâtre qu’il s’amuse à écrire, titrée Europe, Richelieu met en scène Francion qui défend l’indépendance du continent contre Ibère. Pour des raisons à la fois intérieures et extérieures, il dispute à l’empereur le titre de premier prince catholique de l’Europe et convainc Louis XIII de consacrer la France à la Vierge.

L’épée et la croix

Richelieu ne se contente pas de batailler aux côtés du roi en Europe, car les deux hommes apprécient la conduite des opérations. Il s’est approprié la direction de la politique maritime française et renouvelle entièrement sa flotte de guerre. Il développe les ports et les colonies françaises au Canada, dans les Antilles et en Inde. Le siège de La Rochelle a frappé les esprits. Le commerce du tabac, des fourrures et du sucre renfloue les caisses du royaume, en plus d’un effort fiscal sans précédent. En s’alliant avec la Hollande et l’Angleterre, Richelieu accélère l’abaissement du commerce espagnol dont l’or et l’argent diminuent. C’est d’ailleurs sur les mers que la France finit par étouffer la puissance espagnole en la coupant de l’Italie et de l’Allemagne par une série de victoires devant Lérins (1637), Guetaria (1638), Cadix (1640) et Barcelone (1642).

Le Siège de la Rochelle, peint par Henri-Paul Motte, en 1881. Musée d’Orbigny Bernon. (c) Wikipédia

Richelieu meurt peu avant son roi, en décembre 1642, six ans avant les traités de Westphalie de 1648 et l’annexion de l’Alsace. Mais, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, il a eu le temps de placer un de ses plus fidèles élèves, Jules Mazarin, auprès du jeune Louis XIV et de la future régente Anne d’Autriche. Cet Italien avait remplacé en 1638 le père Joseph comme principal ambassadeur du cardinal et il a repris à son compte les instructions laissées par son maître. Aussi peut-on affirmer sans crainte que le traité de Munster qui met fin à la guerre de Trente Ans en 1648 et consacre la protection française des princes allemands contre la puissance des Habsbourg est aussi l’œuvre du cardinal de Richelieu. Son premier et célèbre biographe, Gabriel Hanotaux, saura rendre hommage à ce praticien réaliste et modéré des relations internationales qui a donné à la « grande nation » le premier rôle contre l’hégémonie impériale. Ce chef-d’œuvre diplomatique tiendra jusqu’à la Révolution, mais ne sera définitivement détruit qu’avec l’avènement d’un autre surdoué de la politique internationale, Bismarck. Depuis lors, la France a une grande Allemagne face à elle et sa prépondérance en Europe n’est plus qu’un lointain souvenir.

À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.

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